Le phénomène ElsaGate, c’est-à-dire la diffusion massive de vidéos mettant en scène des personnages populaires dans des contextes grossiers et potentiellement traumatisants, conçues pour capter l’attention des enfants, est apparu sur YouTube au milieu des années 2010. Il illustre les dérives possibles des plateformes de partage de contenu lorsqu’elles ne sont pas suffisamment réglementées, en exploitant les failles de leurs algorithmes.
Le détournement des algorithmes YouTube
Le succès de ces vidéos repose sur plusieurs facteurs interconnectés. Des titres comme « Bad Baby Shark Johny Johny Yes Papa Nursery Rhymes Learns Colours with Coca Cola, Songs for Children » ou « Elsa Spiderman attacked by Sharks ! sea monster Joker » illustrent la stratégie des créateurs de contenu pour exploiter l’algorithme de YouTube. Dès qu’une tendance apparaît, elle est rapidement copiée et amplifiée, donnant naissance à une multitude de vidéos aux titres absurdes. L’objectif est d’associer des comptines, des personnages populaires – principalement issus des licences Disney et Marvel – et des mots-clés stratégiques pour apparaître en tête des recherches et recommandations. En ajoutant ces termes dans les titres et descriptions, et en utilisant des vignettes très colorées, les créateurs maximisent la visibilité de leurs vidéos. Plus une vidéo est regardée, plus elle est suggérée dans les résultats de recherche, les recommandations et les vidéos proposées à la fin d’un visionnage précédent. Ainsi, un enfant qui laisse défiler les vidéos sur YouTube, comme cela arrive souvent, se retrouve face aux contenus les plus populaires, et donc potentiellement à l’une de ces vidéos, et s’expose ainsi à des thématiques inappropriées telles que les grossesses difficiles, la consommation de drogues, les accidents médicaux, les empoisonnements, les simulations de gestes à connotation sexuelle, les violences, les adultères, la scatophilie, les mutilations et diverses formes de maltraitance. En effectuant une recherche sur « comptines français », il n’a fallu que deux visionnages aux journalistes d’Usbek & Rica pour qu’une vidéo problématique, visionnée 16 millions de fois, leur soit suggérée. Dans celle-ci, les personnages s’agressent mutuellement avant de maltraiter leur dragon de compagnie.
Elsagate 2.0
Malgré les mesures de régulation mises en place par YouTube depuis 2017 suite aux signalisations de parents, telles que la suppression de centaines de chaînes et de millions de vidéos, ainsi que la modification de ses algorithmes, le problème persiste, bien que de manière moins massive. Les créateurs de contenu explorent désormais d’autres sujets, comme les jeux vidéo très populaires auprès du jeunes public, à l’instar de Minecraft, ou encore des dessins animés viraux tel le satirique Amazing Digital Circus. Cette adaptation constante souligne la difficulté pour les plateformes à réguler efficacement des contenus émanant de sources diverses et souvent anonymes, illustrant ainsi les limites des systèmes de contrôle automatisés.
En outre, l’aspect juridique de l’ElsaGate soulève la question de la responsabilité des plateformes et des créateurs de contenu. Le phénomène peut être assimilé à du cybergrooming, c’est-à-dire une stratégie de manipulation visant à gagner progressivement la confiance des enfants à des fins potentiellement préjudiciables. L’article 227-24 du Code pénal français réprime la diffusion de contenus inappropriés à destination des mineurs, avec des sanctions pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Toutefois, la nature transnationale d’Internet complique l’application de ces dispositions, notamment lorsque les contenus sont produits en dehors des juridictions nationales.